ÉGLISE
Contexte : Reconstruction
Datation : 1962-1966
Propriétaire : la commune
Auteurs : Hermann Baur (architecte concepteur) - Simont-Vermot (architecte d'opération) - François Chapuis (artiste peintre).
L'église reconstruite de Cahagnes est due au dessin de l'architecte bâlois Hermann Baur (1894-1980). Président du comité central de la fédération de Architectes Suisses (FAS) entre 1938 et 1944, il s'était fait connaitre internationalement par la construction de la "Allerhiligenkirche" de Bâle (1948-51), manifeste modernisme de l'architecture religieuse, dans la mouvance des avant-gardistes suisses (Le Corbusier, Rudolph Schwartz, Hannes Meyer). Baur pouvait ainsi donner une traduction architecturale, alémanique il est vrai, du manifeste dominicain en faveur du renouveau de l'"art sacré". Rappelons que celui-ci poussait à proscrire de l'acte architectural tout affichage spectaculaire (tendance à la virtuosité technique bannie), renouant ainsi avec l'antique tradition chrétienne de retour à la simplicité, l'épure architecturale étant au service de la liturgie et non l'inverse. L'intrusion dans ce petit bourg du bocage calvadosien dune figure emblématique de ce courant architectural a de quoi surprendre. Il résulte en fait de la volonté du directeur de la coopérative de reconstruction du Calvados (coopérative qui assurait la maîtrise déléguée de l'Ouvrage avant son absorption par la coopérative la "Renaissance des Clochers"), le chanoine Lecocq, qui souhaitait ainsi doter le département d'un "nom" prestigieux pour un édifice ainsi marqué du sceau de la modernité en matière d'architecture religieuse. La mise en oeuvre de ce projet se heurta à toute une série de vicissitudes qui expliquent la date tardive de l'édification (le permis de construire est délivré seulement le 14 mai 1962). L'esprit personnel du "maître" eut quelques difficultés à établir la mise au point du projet, notamment à faire rentrer son projet surdimensionné dans l'enveloppe financière égale au montant de l'indemnité de la reconstruction. Les archives de la coopérative immobilière de reconstruction nous montrent par ailleurs l'architecte d'opération Simont-Vermot (Houlgate), chargé de faire le lien entre le maître d'ouvrage et Baur, perplexe et à la limite de la réticence, face à une architecture "trop audacieuse" pour une bourgade comme Cahagnes. Il se plaint régulièrement des imprécisions du maître quant à ses devis estimatifs et la lenteur de ses réponses aux documents demandés. Heureusement, le projet, très soutenu par la coopérative, reçoit l'adhésion enthousiaste des instances religieuses et édilitaires. Alors qu'en 1961, tout semble enfin pouvoir se débloquer (le permis de construire est déposé le 17 avril 1961), le projet reçoit un avis défavorable en juillet de la même année du comité départemental des bâtiments civils, instance chargée d'émettre un avis sur les projets architecturaux, placée près de la Préfecture. c'était une contradiction flagrante par rapport à la volonté de tous les intervenants, représentant de l'État compris. Il faut y voir la réaction très en réserve de l'architecte des Bâtiments Civils et Palais Nationaux (de surcroît architecte en chef des monuments historiques), Merlet, conjuguée à celle de l'architecte -conseil du M.R.L., Longuet, face à une oeuvre d'un architecte exogène. L'argumentaire développé par la commission repose sur le constat que "la construction proposée ne semble pas pouvoir s'inscrire dans le cadre naturel du Bocage; elle ne pourra qu'être une dissonance dans le paysage. En conséquence, le comité demande à Monsieur le Maire de Cahagnes assistant à la réunion accompagné de son architecte (Simont-Vermot, l'architecte chargé de la conduite de l'opération) qu'un nouveau projet, beaucoup plus simple et plus en harmonie avec la région soit établi. il est bien entendu que le comité n'est pas hostile à une réalisation moderne". En réalité, sous couvert d'harmonisation vernaculaire, c'était le projet Baur lui-même qui était visé. Qu'on y songe : plusieurs réalisations d'architectes de "l'establishment" français comme Guy Pison (qui était architecte conseil du M.A.L.) Henry Bernard, voir Jean Zunz, n'eurent aucune difficulté à proposer dans le département des églises aux formes innovantes s'affranchissant des matériaux traditionnels et des standards vernaculaires. pourvu qu'ils fussent acceptés par les autorités locales et la population! Il faut donc interpréter l'avis de ladite commission comme un frileux combat destiné à contrer, en pleine terre normande, l'élaboration d'une église d'un architecte suisse, alémanique de surcroît ! La meilleure preuve en est que Merlet condamne l'aspect financier du projet comme exorbitant, alors que cet aspect des choses ne relevait nullement de ses attributions mais de celles de la coopérative, en tant que délégataire de sa mission de maître d'ouvrage! Cette peu glorieuse attitude illustre le climat qui régnait dans les années 1950, chauvinisme à relent germanophobe au sortir du dernier conflit encore proche. Le projet initial fut quelque peu amendé mais s'affranchit toutefois de la barrière de la commission, puisque le Préfet prit la décision autoritaire d'autoriser le projet le 15 février 1962. Dès lors, la route était libre. Le chantier put démarrer à l'automne 1962 et en juillet 1963, les travaux de gros-oeuvre étaient bien avancés. Les vitraux furent mis en place au cours de l'année 1966.
DESCRIPTION:
L'église est implantée au centre du village, sur un promontoire. Sa position sur son éminence, compte tenu du gabarit se don architecture (toiture en terrasse à très faible pente), ne permet pas, extérieurement, d'en saisir bien l'articulation.
Le plan de l'édifice affecte celui d'un éventail, avec un espace unique, exempt de out support vertical, se resserrant vers le choeur. Les murs extérieurs et intérieurs sont à moellons apparents, à l'origine prévus enduits. Le couvrement est un voile de béton armé inversé totalement caché par une frisette en finition. une imposante tribune très saillante et un peu trop présente assure la jonction entre l'entrée de l'église et la grande "nef". Le baptistère se trouve niché entre les deux accès. Le rythme spatial du grand volume central est assuré par le sol descendant vers le "choeur" et le couvrement qui au contraire s'élève vers le sanctuaire. Le rattrapage de la toiture entre la "nef" et le sanctuaire permet d'assurer un éclairage indirect du choeur. Un clocher totalement indépendant assure par une verticalité minimaliste son rôle de signal en formant un contraste saisissant avec l'église très horizontale.
Le parti architectural de l'église de Cahagnes réduit à néant les habituelles divisions hiérarchiques spatiales de l'église traditionnelle (entrée/nef/choeur-sanctuaire) au profit d'un espace unifié. Additionné à la position stratégique de l'autel permettant le ministère face au peuple, l'église de Cahagnes intègre toutes les données nouvelles qui seront mises en oeuvre lors des constructions diocésaines dans les décades des année 70-80.
PROGRAMME DÉCORATIF :
L'ensemble des vitraux aux motifs abstraits a été dessiné par François Chapuis et réalisé par les ateliers Gouffault (Orléans) : marché 14 février 1966.
Sources : Arch. Nat. (CAC Fontainebleau), 19790374/29 - Arch dép. 14,1542 W 133/2
Protection M.H. : inscrit au titre des monuments historiques par arrêté en date du 08 juillet 2010. (partie protégée : église en totalité, y compris la sacristie et le clocher-campanile).
Alain NAFILYAN, DRAC-CRMH Basse -Normandie.